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De rêves et de plumes

L’écriture a croisé ma vie, un jour, par hasard, ce ne fut pas la visitation de l’ange au petit matin mais quelque chose de tardif et plutôt imprévu. Si vous parcourez mon blog vous trouverez quelque part l’histoire cette rencontre qui m’invita un soir à l’écriture, car ce ne fut pas une révélation mais une invitation, un geste d’amitié qui continuent à accompagner ma vie. Dans ce blog vous trouverez des lieux, et parfois mêmes des lieux communs, des états d'âmes aussi et , j’espère, un peu de style.

La dernière nuit

Ils ont appelé, il était à peine vingt-trois heures, je m’étais assoupi, réveil un peu brutal. J’ai mis du temps à trouver le téléphone. La voix était calme, c’est peut-être pour cela que je ne comprenais pas. Il n’était pas très bien, me disait-on, il fallait venir, j’ai enfin que tout cela n’était que close de style : il allait mourir. Mon fils et moi avions passé l’après-midi avec lui, ça allait, enfin pas vraiment mieux mais pas franchement pire, fatigué mais cohérent, ils avaient dû diminuer le traitement. La fatigue ne le lâchait pas, elle l’accompagnait depuis si longtemps qu’on n’y prêtait plus trop attention. Hier il y avait aussi la lassitude : à un moment il s’est penché, la tête inclinée, les coudes sur les genoux, il a hoché la tête, il a dit qu’il était fichu, mon fils s’est exclamé que ce n’était pas vrai, qu’il allait se remettre, comme pour les autres fois, il lui a lancé un coup d’œil presque ironique, un sourire désabusé, il a haussé les épaules et regardé par la fenêtre. Je me taisais, mon fils faisait la discussion. C’était il y a quelques heures à peine.

L’hôpital n’est pas loin, à cette heure en moins de dix minutes j’étais sur place. Le couloir des urgences était encombré comme d’habitude, une nuit normale. La première fois çà surprend, après on s’habitue, on prend ses repères. Je donne le numéro de la chambre, son nom, la porte automatique s’ouvre, les couloirs, l’ascenseur, les pas qui résonnent dans le silence, enfin la chambre. Il était réveillé, il suffoquait, il se débattait avec lui-même et ses poumons qui le lâchaient. Il y avait deux infirmières et l’interne qui l’entouraient : lui en panique, eux professionnels et calmes. De leur échange j’ai juste saisi une phrase : ils allaient lui faire une injection d’anxiolytique. J’ai un peu tiqué, détresse respiratoire et anxiolytique ne font pas bon ménage, mais je n’ai rien dit, n’est-ce pas : pas envie d’entendre la réponse : pieux mensonge ou insupportable vérité.

Il s’est rendormi. Sa respiration est apaisée. A travers le masque du respirateur je vois le mouvement de la bouche qui s’entrouvre à chaque inspiration, la poitrine se soulève, banalités dans un quotidien qui deviennent tout à coup signes incertains d’une survie hasardeuse. Je n’ai rien amené, je n’y ai pas pensé. Il y a un ou deux livres qui trainent mais je n’ai pas envie de lire, même pas les journaux. Derrière eux Ils ont refermé la porte qui filtre la vie de l’hôpital : c’est une rumeur incertaine qui vient jusqu’à moi. C’est un fond sonore assourdi un rien syncopé : les roulettes des chariots qui passaient, des bips d’alertes ou d’appels, longs ou courts, répétés ou non, seul manque le bruit des pas précipités : une nuit calme d’hôpital.

Les minutes s’égrènent sans ennui, il y a bien cette voix qui voudrais que je sache, que je comprenne, que j’admette, que cette nuit n’en verra pas d’autre : la dernière, l’ultime, la fin d’un parcours, mais je ne l’écoute pas, je le regarde respirer tranquillement, avec le léger sifflement du respirateur qui joue aimablement les fonds sonores pour cette nuit.

Sans y prendre garde, insidieusement, sur la pointe des pieds, les souvenirs s’insinuent, ils remontent, dansent dans ma tête, font une ronde d’images, de sons, de gouts, de sentiments. Je le regarde sans trop prêter attention à ce curieux kaléidoscope qui se déplie dans ma tête. Il est reposé, la respiration est régulière.

Je fumerai bien une cigarette, rien de compulsif, juste voir les volutes qui montent tranquillement et se désagrègent lentement, évidement fumer dans une chambre d’hôpital n’est pas très réglementaire, je suppose que le personnel y trouvera à redire. Il faudrait déjà que je trouve une cigarette et du feu, j’ai tout laissé derrière moi. Trop de précipitation, et puis le manque d’habitude, pas courant que l’on vous appelle à onze heure du soir pour accourir à l‘hôpital. En fait c’est la deuxième fois, le première c’était pour la naissance de mon fils, même chose je venais à peine de m’endormir quand ils m’ont appelé, ils doivent sentir ce genre de chose.

Le temps était presque doux, comme cette nuit, le travail avait à peine commencé, elle avait perdu les eaux mais les contractions ne venaient pas ou faiblement, finalement elle a accouché quatre heures plus tard. Quand je l’ai quitté il n’était pas encore six heures. J’étais vaseux mais je n’avais pas franchement sommeil, j’avais été prendre un café à coté, l’estaminet venait d’ouvrir, les rues commençaient à prendre vie, des ouvriers, des plâtriers, avaient débarqué : café et canon de blanc, question d’estomac et d’habitude.

Je prendrai bien un verre de Chablis.

Il y a quelques jours nous échangions quelques banalités, curieux d’ailleurs, du moment où il est rentré à l’hôpital, les discussions sont devenues plus convenues, banales : les nuages qui passent, l’herbe qui pousse ou les minutes qui s’égrènent. Je lui apportais les journaux mais il n’y touchait pas et les livres à l’évidence prenaient la poussière.

En fait lui et moi nous attendions, aucun ne le disait, les mots n’étaient pas prononcés, à peine pensés, et encore, sentiment furtif que l’on chassait aussitôt ne lui laissant pas le temps de prendre consistance. Ne pas y penser, en tout cas ne pas le dire. C’était mieux, plus supportable, moi d’avantage que lui.

Un engin pétarade dans la nuit, bruit de scooter, il est à peine une heure du matin, sans doute un retour de soirée, en se penchant un peu sur le coté on voit la rampe d’accès des urgences, un escalier sur le coté permet le passage des piétons, il me semble que quelqu’un s’est adossé, une ombre dans la nuit. De l’autre coté l’avenue déserte déroule sa solitude sous les néons qui illumine la nuit et le silence de la cité avoisinante.

Pourquoi faut-il que je m’imagine fumant une cigarette, prendre la pose, regarder le bout rougeoyant qui jouerait les braséros, point rouge dans une nuit qui peine à envahir les rues.

Il respire tranquillement, léger mouvement de la bouche sous le masque, la cage thoracique qui se lève doucement, à peine perceptible. Je ne pense rien et je ne pense à rien mais, instinctivement, je suis du regard ce mouvement qui signifie la vie.

On dit des heures dans ces moments de veilles qu’elles s’égrènent lentement, mais elles ne semblent pas s’éterniser pas plus que je ne les sens fuir, il n’y a nul grain de sables que je sens glisser entre mes doigts. La nuit s’effiloche à son rythme, nul temps suspendu mais nul ennui, je suis dans une parenthèse que je ne sais pas nommer pas, c’est plus simple, l’esprit vagabonde, c’est une dérive dans un instant figé par une échéance qui ne s’impose pas mais attend son heure avec la tranquille certitude de celle qui sait.

Sans doute une part de moi le sait aussi, je ne peux l’ignorer, cela fait un an et demi que çà dure, mais j’ai trouvé l’aveuglement nécessaire au moment opportun, l’heure des larmes n’est pas venue.

Il y avait eu le diagnostic, la salle d’attente n’était pas très grande, quelques chaises dans un coin, presque au bout du couloir, je les avais accompagnés. Je ne sais plus s’il m’avait parlé des examens. Les derniers temps, c’est vrai, il se fatiguait vite. Le médecin est venue les chercher, une belle femme blonde, une spécialiste reconnue m’avait-il dit. C’est ce jour-là que j’ai découvert que l’on ne parlait pas de cancérologie, nous étions dans un service d’oncologie. Je crois que l’entretien n’a pas duré très longtemps. Ils sont revenus avec le médecin qui est repartie en disant que l’infirmière allait les accompagner dans la chambre. Je ne comprenais pas. Il m’a regardé avec ce sourire particulier et m’a résumé le diagnostic. Je ne me rappelle pas des mots, juste ce froid qui m’a envahi, je n’ai rien dit, peut-être ai-je hoché la tête.

La lune était pleine, elle est apparue à un angle du bâtiment, il n’est pas loin de quatre heure, elle est brillante, haute dans le ciel. Je la regarde fixement, il parait que l’on peut être ébloui à la regarder ainsi. Dans le couloir j’entends un charriot qui passe devant la chambre, puis des pas pressés, très vite le silence reprend ses droits.

Des phrases me revenaient, des rires, des discussions parfois passionnées, ce sourire large, franc mais qui pouvait être tout à la fois conciliant ou  presque désabusé. Quand il riait le corps entier était en mouvement, ce corps massif aux larges épaules qui faisait trembler la chaise quand un fou-rire le prenait, ce n’était pas rare, il riait comme il mangeait : largement, goulument, il y prenait plaisir et voulait voir se plaisir partagé. Il avait peu de gout pour ces plats aux portions rachitiques, aux sauces neurasthéniques et aux senteurs à peine définissables. Bien sur tout cela était derrière nous, la maladie avait fait son œuvre. Mais je le vois encore, heureux, le regard gourmand, le nez au-dessus du verre de vin, souvent du Bordeaux, puis portant à sa bouche un lare morceau d’une belle tranche de bœuf ;  ce mouvement de mâchoire puissant, allant jusqu’à ce mordre la joue tant il y mettait de la vigueur. Je revois ces déjeuners dans les brasseries qu’il affectionnait, la serviette largement étalée pour préserver la cravate, nous attaquions en conserve et de bon cœur ces plats roboratifs aux gouts francs et aux parfums puissants.

Tout cela n’est plus que souvenir mais il est encore assez vif, le souvenir de ces instants pas si éloignés, où la discussion connaissait peu de poses.

Un jour il avait comparé la musique de Brahms a une soupe, il préfère Beethoven, on entend chaque instrument : les violons, les altos, les violoncelles, les instruments à vent, les percussions. C’était une façon curieuse de parler de Brahms et de Beethoven aussi d’ailleurs.

Se furent des mois en dent de scie, il y a eu les urgences. Je ne connaissais pas, pas encore. Il y a eu le service de réanimation, c’est une maladie qui fait visiter. C’était très grand, pas de chambres : des lits dans des sortes d’alcôves, au milieu un immense comptoir circulaire où se tenait tout le monde : infirmières, internes et médecins. Il y avait beaucoup de bruit : des alertes sonores de toutes sortes, cela n’arrêtait pas. On nous avait dit que les prochaines quarante-huit heures seraient critiques, alors on a attendu quarante-huit heures et ils l’ont monté à l’étage dans ce service que nous connaissions bien maintenant. La maladie le grignotait un peu mais lentement, l’air de rien, elle a pris son temps. Il y a quelques mois on a fêté son anniversaire, il était heureux, comme si la maladie l’avait oublié, c’était une illusion mais on y a tous crue, autrement ce n’est pas supportable.

L’aube s’est levée, le ciel passe au clair, c’est une belle journée qui s’annonce, il est à peine sept heure, le couloir à repris vie depuis quelques instants, les pas pressés, le bruit des chariots qui passe, les premiers soins, personne n’a ouvert la porte.

J’ai l’impression qu’il a fait comme une pose, je m’approche, quelques instants puis cela recommence, la respiration s’arrête, repart, la bouche s’ouvre un peu plus pour avaler un peu d’air, j’ouvre la porte, une infirmière passe, je lui dis, elle me regarde, elle hoche la tête. Bien sur, c’est évident,  pourquoi poser la question.

Je retourne dans la chambre,  je referme la porte derrière moi. Une pose encore, la bouche qui s’ouvre largement, se fige, c’est fini. Il est temps de pleurer maintenant.

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O
La mort rend philosophe et métaphysicien le plus humble des mortels .. Avoir &quot; conscience&quot; de la mort serait finalement le paradoxe nécessaire au bonheur conditionnel et conscient ? <br /> Mais, le &quot; bonheur réel &quot;, est il compatible avec la conscience ?
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