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De rêves et de plumes

L’écriture a croisé ma vie, un jour, par hasard, ce ne fut pas la visitation de l’ange au petit matin mais quelque chose de tardif et plutôt imprévu. Si vous parcourez mon blog vous trouverez quelque part l’histoire cette rencontre qui m’invita un soir à l’écriture, car ce ne fut pas une révélation mais une invitation, un geste d’amitié qui continuent à accompagner ma vie. Dans ce blog vous trouverez des lieux, et parfois mêmes des lieux communs, des états d'âmes aussi et , j’espère, un peu de style.

Café de solitude

James Dean a les yeux perdus dans le vague, une ombre se dessine sur ses paupières. Il se tient là, indifférent, les épaules rentrées, le visage un peu de profil, beau, inaltéré, comme un air d’éternité. Au-dessus de lui Marilyn a pris une pose de vamp, les lèvres pulpeuses à souhait, légèrement entrouvertes, cheveux bouclés. Elle me fixe à travers ses longs cils, le regard un rien aguicheur. Dans le cadre qui est un peu de guingois, elle semble se pencher vers l’horloge murale à l’émail écaillé. Nul ne semble remarquer ses icones en noirs et blancs qui se fanent tranquillement sur leurs papiers glacés.

 Assise, les paupières à peine entrouvertes, la femme sirote un café, indifférente à la beauté sombre de James Dean, autant qu’à la sensualité torride de Marilyn.

Elle se tient face à la porte vitrée. Elle a gardé bien enroulé autour du cou un épais cache-nez tricoté à larges mailles. Le blouson est à peine ouvert, une coupe étroite qui ne flatte pas sa silhouette aux hanches évasées, on sent l’achat économique, un truc ni cher ni élégant qui protégera un peu de la pluie et du froid. Autour de ses jambes s’enroulent un épais collant qui avoue son âge en baillant un peu entre deux plis. Elle tient entre ses deux mains la tasse de café, on aperçoit quelques restes de vernis sur ses ongles courts. Ses mains avouent ses années et bien d’avantage encore.

Son visage est fané, ses traits n’ont pas d’âge, on y voit se dessiner une vie sans histoire, sans passion, ou si peu, une jeunesse fugace, un quotidien morne. J’imagine ses nuits de solitude, ses espoirs perdus ponctués d’instants vains d’égarements. Ses yeux avouent une fatigue sans sommeil, les heures qui s’écoulent trop lentement la nuit dans un lit qui sera à peine fait le matin venu, le petit tube de comprimés est posé à côté de la lampe. Où est donc partie son enfance ? Ces moments tendres innocents et certains, avait-elle connu l’amour, les élans, la passion, les nuits à deux, les nuits qu’elle a vécues, les nuits qu’elle a rêvées. Décidément l’automne est venu bien trop tôt, il hante les murs de ce qui lui tient lieu de logis, il s’installe dans les pièces où rien ne bouge, il est le silence du salon, le froid du lit. Combien de fois a-t-elle voulu fuir ce lieu sans soleil, pour aller hanter les rues et les cafés, s’y incruster, devenir une habituée à qui on sourit parfois, ici ou ailleurs peu importe le café aura le gout d’un peu de vie, il aura le bruit des conversations, celles des autres bien sur, mais c’est si bon de les entendre, et parfois on les écoute et cela devient un peu la sienne, en fermant les yeux, pour faire comme si, on a alors l’illusion d’une autre vie dans le ronron des discussions et des rires.

Elle se lève lentement, rien ne la retient, rien ne l’attend, le collant se tend, les poches s’estompent, elle ferme le blouson qui la boudine un peu plus, c’est comme sa vie : des trucs pratiques et confortables mais usés et sans charme, quelle importance : qui ira s’en inquiéter ? Elle sort sans un mot, la patronne ne lève pas la tête de son journal, la clientèle éparse reste somnolente, la porte grince un peu en se refermant derrière elle. Au mur James Dean et Marylin, toujours de guingois, ont gardé la pose et restent indifférents à la table désertée où les tasses de café vides s’accumuleront et resteront  ainsi encore un moment, attendant que les tenanciers du lieu s’accordent le temps de les ramasser, pour le coup d’éponge se sera plus tard, en fin de journée, peut-être, à moins que les clients s’en chargent, ce n’est pas rare, on a toujours un kleenex ou un sopalin qui traîne dans la poche, surtout en hiver.

En haut à l’écran les chiffres du Rapido continuent à tourner, les tirages se succèdent, quelques-uns leur ticket à la main suivent les chiffres qui s’affichent, le tirage dure quelques secondes, un soupir d’espoir, le tirage est terminé, il reprendra quelques secondes plus tard. Le Jukebox diffuse du disco dans l’indifférence et les paroles rares, couvert parfois par le bruit des tasses qui circulent sur le comptoir, ou que la patronne sort du lave-vaisselle et range sur le présentoir.

Ma voisine repose son téléphone sur un au revoir qui se voudrait peut-être tendre et qui sonne rauque ; tout est en longueur, son visage, son nez, les cheveux, hésitant entre le blond et le blanc, les rides qui forment comme deux parenthèses autour de sa bouche pincée, les jambes graciles, gainées d’un fourreau sombre avec des bottes décorées de gros fermoirs, et ce corps maigre, enserré dans une sorte de Perfecto étroit qui n’est plus de mode. On entend les limons de nicotine quand elle demande un café, le deuxième, une voix rugueuse, sourde, involontairement gouailleuse, irrémédiablement vulgaire, elle a reposé le téléphone tel un paquet de cigarettes, elle jette un coup d’œil fatigué sur l’écran ou s’affiche les chiffres du Rapido, les cernes sont des poches sombres, ce matin d’hiver est froid et rien ne la réchauffe, usée trop tôt, aride de rêves.

Elle fait la grimace devant son ticket de jeu, elle murmure « Je n’ai même pas un numéro », les statistiques ne l’intéressent pas, elles observent les chiffres comme les oracles auscultaient les entrailles des animaux, elle y lit un espoir, pas celui de gagner mais au moins de voir des numéros gagnants. Son regard va de l’écran au ticket, incrédule devant cette absence inattendue et de si mauvais augure, en parlera-t-elle avec sa voisine, ses amis, la commerçante du coin ? La phrase tourne un peu en boucle, tel un mantra, étonnée autant que désemparée, elle en serait presque triste. Alors finalement elle va rejouer, se déleste à nouveau de quelques dizaines d’euros, se rassoit et attend, ignorant son café qui refroidit, enfin le nouveau tirage s’affiche et le sourire revient, elle a un chiffre gagnant, le signe qu’elle attendait, l’espoir d’une bonne journée, ce même espoir qu’alimente la lecture quotidienne des prévisions astrologiques, parcourues chaque matin et oubliées à peine le pas de la porte franchi, petits bonheurs furtifs, futiles sans doute mais nécessaire à son quotidien. Des joies courtes, simples, pour une vie qui s’écoule entre les quatre murs de ce village dans un quotidien sans ambition. elle a eu des rêves bien sur, Il y a longtemps, elle ne les a pas vus s’étioler, d’ailleurs se rappelle-t-elle seulement qu’elle en a eus, parfois certains soirs dans son lit, quand la télévision est éteinte que les voisins se sont endormis, et qu’alors le froid du lit et le silence de la pièce lui rappelle que malgré les peluches un peu ridicules qui s’entassent dans un coin et les bibelots sans charmes qui encombrent les étagères, malgré les draps aux couleurs autrefois claquantes, il n’y personne avec qui parler de ces rêves ni même en sourire. Certains hommes sont passés, et repartis, il n’y a pas eu d’enfants, c’est mieux ainsi le répète-elle, elle a la conviction de circonstance, de toute façon il y a les autres, ceux qui l’appellent Tata ou Tati, à qui elle fait de temps en temps des cadeaux, achetés au bazar d’à côté qui lui fait des prix, des trucs pas chers mais qui font plaisirs, un petit geste qui lui permet d’exister dans le sourire des autres.

A une table trois générations se sont installées : une jeune femme tient sa fille sur ses genoux tout en sirotant un café , elle a les articulations fines, des yeux clairs, un joli ovale, des cheveux blonds coiffés sans manière qui encadrent son visage dans un aimable halo mousseux, son nez est un peu long mais l’ensemble est plaisant et même gracieux. En face d’elle la mère, replète, engoncée dans une doudoune qui la boudine à l’excès, et d’où sort un double menton sous lequel disparaît le cou, chaires pendantes et peau flasque, les rides creusent leur sillon à travers le derme usé, les cheveux coupés courts, ne sont plus si denses, les boucles peinent à cacher ce cuir qui n’est plus si chevelu. La mère jette un œil sur le résultat du dernier tirage, son billet est perdant, elle en fait une boule qui termine dans la tasse vide. Est-ce le signal du départ ? La jeune femme pose sa fille et se lève alors que la musique a viré au rythmique, deux bonhommes discutent au fond de la salle, ils haussent un peu le ton pour couvrir la musique qui se la joue façon Lounge, la mère se redresse toujours engoncée dans son manteau qui la fait ressembler à un culbuto, on serait tenté de vérifier. A petit pas elle suit sa petite-fille qui ne lâche pas la main de sa mère.

La fille deviendra-t-elle la mère? Voit-elle le naufrage qui s’annonce en face d’elle ? En passant la porte du café elle se retourne vers sa mère, ses yeux sont entourés d’un trait noir qui lui va bien, elle sourit à sa mère qui a marmonné quelque chose, peut-être le court du temps sera plus aimable pour elle, je préfère cette idée, le profil de culbuto descend les marches et disparaît, flotte encore le visage de la fille, son arrondi, ses yeux soulignés de noir, ses cheveux blonds, ses doigts fins.

L’heure du déjeuner approche, c’est l’instant flou, un entracte qui ne dit pas son nom, les derniers clients de la matinée s’en vont, les tasses vides traînent toujours sur les tables, les bouts de papiers aussi. Le patron navigue entre fourneaux et salle, sa femme a quitté le bar pour écrire le menu du jour sur le grand tableau noir qu’elle mettra à l’entrée, elle s’applique sur chaque mot, pas de fioriture, du précis, du descriptif, la purée est  « maison » et le Burger aussi, pour rendre la chose attrayante elle utilise des craies de couleur, elle est concentrée, cela prend du temps, elle s’arrête , regarde le résultat, observe le plateau de crudités et dit à son mari que ce serait bien de proposer de la tomate Mozzarella, elle en parle comme une nouveauté, et de préciser « il faudrait mettre du basilique c’est mieux ». il est dit que les tasses attendront.

Il est temps de partir, le ciel est bleu, l’air froid pousse à presser le pas, le givre a quitté le pare-brise des voitures, il brille encore sur le toit des maisons et sur les pavés de la place du village, le pas se fait glissant, certains entament des figures de style surprenantes, involontaire d’imagination.

Ma solitude m’attend, chaude, calme, silencieuse dans l’air immobile du logis. Tout y est bien rangé, propre, figé. Le soleil de midi inonde l’appartement et réchauffe le carrelage blanc, l’horloge de l’église sonne douze heure, il me reste encore bien des heures à occuper d’ici ce soir.

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